Cabinet de Psychothérapie
Ondine Khayat

La colère à l'épreuve du deuil


On la contient, on l'expulse, elle nous ravage, elle nous fait peur. Et au milieu brûle la colère….

La colère, une émotion "mal vue"

La colère fait partie des émotions « mal vues », et nombreux sont ceux qui, enfant, ont entendu des adultes la condamner. Le paradoxe est complet. Nous vivons dans une société où la rivalité, l’agressivité et le jugement sont monnaie courant, et où, dans le même temps, on nous abreuve de conseils pour être zen, bienveillants, remplis d’empathie. Rappelons que la colère, pour les catholiques, fait partie des sept péchés capitaux et que pour les bouddhistes, elle fait partie des trois poisons de l’esprit. Forcément, ça ne nous aide pas beaucoup à la prendre en compte !

dépasser sa colère

Les raisons de la colère : le deuil

Prenons l'exemple de Patrice, 53 ans. Il est marié depuis vingt ans avec Myriam, qui vient de fêter ses 50 ans. Ils se sont rencontrés sur les bancs de la fac, ont eu une belle histoire d’amour, puis se sont séparés et ont chacun vécu quelques années en couple avant de se retrouver chez des amis communs. Ils se sont rendus compte qu’ils s’aimaient toujours et se sont mariés quelques mois plus tard. Ils ont deux filles de quinze et dix-sept ans. Très proches l’un de l’autre, ils ont toujours tout partagé et ont surmonté ensemble des moments difficiles, notamment la mort de la mère de Patrice, survenue l’année de la naissance de leur fille cadette. Patrice était très proche de sa mère et a très mal vécu son décès. Patrice était expert-comptable dans un cabinet parisien, Myriam responsable marketing d’une société de parfum de luxe. Ils vivaient à Paris, mais ont décidé de changer de vie six ans auparavant. Ils ont quitté la vie parisienne et ont créé une maison d’hôte près d’Avignon. Ils se répartissent les rôles et sont très complémentaires. Ce nouveau départ les a rapprochés l’un de l’autre et a approfondi leur relation. Ils ont trouvé un équilibre loin de Paris, que Patrice ne supportait plus. Malheureusement, Myriam a fait une rupture d’anévrisme et est décédée quelques jours plus tard à l’hôpital. Patrice a réagi très violemment. Refusant d’accepter sa mort, il s’est enfermé dans la colère.

Eclairage sur le deuil et la colère

Nous avons, tout au long de nos vies, des deuils à effectuer. Séparations affectives, perte de notre idéal, mutations diverses... mais la perte d'un être cher est sans doute le deuil le plus douloureux auquel nous sommes confrontés. Patrice vit cette épreuve de plein fouet. La douleur l’accable, il ressent une grande injustice. Cela fait naître en lui un très fort sentiment de colère. Il utilise cette énergie pour faire face à sa souffrance, car la mort brutale de Myriam est très violente pour lui. La colère est bien souvent une tristesse qui ne peut pas se dire. La colère de Patrice lui permet de faire face, de tenir le coup sans s’effondrer. Il l’utilise comme un carburant pour rester en vie, gérer son quotidien et continuer à avancer coûte que coûte. L’énergie libérée par la colère a une fonction d’anesthésiant. Elle endort momentanément sa souffrance. Patrice ne supporte plus d’entendre ses amis lui dire, avec la meilleure volonté du monde, qu’il doit faire son deuil et passer à une autre étape de sa vie. Il ne le veut pas et il ne le peut pas. Il est en colère contre la vie, qui lui a pris la femme qu’il aime.

La colère comme système de défense

Patrice a besoin de sa colère pour rester debout. Il l’attise chaque jour davantage et refuse de s’en libérer, même si son intensité et sa durée le ravage intérieurement. Sa colère l’isole de ses deux filles. Elles ont perdu leur mère et ont besoin de soutien et d’apaisement, mais leur père, incapable de faire face à son chagrin, ne peut pas accueillir le leur. La vie n’a plus aucun sens pour lui. Trouver un sens à sa vie implique d’être capable de donner du sens à sa souffrance et Patrice ne parvient pas à le faire. Il est révolté. La mort de sa femme lui fait éprouver la perte et le confronte à sa propre mort. La colère l’a aidé les premiers temps à faire face à cette épreuve, mais elle devient de plus en plus destructrice car elle reste bloquée en lui, sans pouvoir être libérée. Elle s’installe et colonise tous les aspects de sa vie. Il est en colère perpétuellement, contre tout. Le carburant initial qui lui permettait de rester debout devient une marée noire intérieure qui mazoute l’ensemble de ses sentiments.

Focus psy sur la colère

Psychiatre autrichien et survivant des camps de concentration nazis, Viktor Frankl (1905-1997) a créé la logothérapie, une approche thérapeutique qui prend en compte la dimension spirituelle de nos êtres. Selon lui, c’est le sens que nous donnons à notre vie qui oriente nos actions et nous motive. « Notre philosophie de l’hygiène mentale insiste d’ordinaire sur l’idée que les gens devraient être heureux, et que le malheur est un symptôme d’inadaptation. Une telle conception, valorisée par le système culturel, est sans doute responsable de ce que le fardeau d’un malheur inévitable s’accroît du malheur de ne pas être heureux », disait-il. Viktor Frankl explique que lorsqu’un homme pleure, il fait preuve du plus grand des courages, celui de souffrir. Il a témoigné de ce qu’il a vécu dans les camps et a remarqué lorsqu’il était prisonnier, que ceux qui avaient le plus de chance de survivre étaient ceux qui avaient des tâches à accomplir après leur libération. Pouvoir se projeter et croire encore à l’avenir leur permettaient de tenir.

« Il fallait que nous changions du tout au tout notre attitude à l'égard de la vie. Il fallait que nous apprenions par nous-même et, de plus, il fallait que nous montrions à ceux qui étaient proie au désespoir que l'important n'était pas ce que nous attendions de la vie, mais ce que nous apportions à la vie. Au lieu de se demander si la vie avait un sens, il fallait s'imaginer que c'était à nous de donner un sens à la vie à chaque jour et à chaque heure. Nous devions le réaliser non par des mots et des méditations, mais par de bonnes actions, une bonne conduite. Notre responsabilité dans la vie consiste à trouver les bonnes réponses aux problèmes qu'elle nous pose et à nous acquitter honnêtement des tâches qu'elle nous assigne. »

Deuil et culture

Dans certaines cultures, la mort est vécue comme un passage qu’il convient de célébrer tous ensemble, en chantant et en dansant. Dans certains endroits du monde, on accompagne l’âme du défunt dans son voyage vers un autre plan de conscience. La mort est ritualisée, symbolisée et permet aux vivants de jouer un rôle actif en se la représentant. Cette représentation acte qu’il y a un avant et un après. Patrice n’a pas eu la possibilité de symboliser la mort de Myriam. Il a été frappé de plein fouet, a vu sa cellule familiale exploser, ses filles éprouvées, son travail bouleversé. Il s’est rigidifié pour tenir, mais plus rien n’a de sens pour lui. Il ne parvient plus à tenir son rôle de père. Ses filles l’évitent car le voir dans cet état est trop difficile pour elles. Nos sociétés n’ont plus de rituels. Tout est mis sur le même plan, ce qui ne nous permet pas d’intégrer les différents passages de la vie. Le deuil est banalisé, ce qui nous amène parfois à culpabiliser notre chagrin. Quand nous perdons un être cher, nous perdons un lien, une présence. Mais nous perdons aussi la personne que nous étions dans la relation avec lui.

Vers la libération

La part de nous qui existait au contact du disparu meurt avec lui. Identifier cette part nous permet de comprendre ce qui nous arrive et de nous accompagner nous-mêmes dans cette perte. Il s’agit de traverser l’épreuve de la mort et d’en revenir vivant. Nous devons prendre le temps de nous saluer, de célébrer les guerriers valeureux que nous sommes, les marcheurs contraints de traverser le pays du chagrin pour retrouver la vie à l’intérieur de nous. Un deuil ne se « fait » pas, il se traverse. Et c’est cela qui nous permet de sortir de l’impuissance que la mort nous fait éprouver. Au cours de sa thérapie, Patrice hurle sa rage et sa colère. En les libérant, il peut enfin exprimer son immense chagrin, car sa peine était masquée par la colère qui se trouvait au premier plan pour l’aider à se tenir debout. L’accompagnement, durant cette phase de deuil, lui offre un espace de sécurité, un temps de parole, de silence et de larmes, un accueil bienveillant et sans jugement, libérateur pour lui. Il réalise que le deuil de Myriam réactive aussi le deuil de sa mère, qu’il n’avait pas eu le temps d’assimiler car il s’était produit au moment de la naissance de sa deuxième fille.

Patrice se rapproche de ses filles et leur parle de ce qu’il a ressenti depuis la mort de Myriam. Ils peuvent enfin échanger à nouveau et se retrouver. Des rituels permettent à Patrice de laisser partir Myriam et de recréer en lui un espace pour établir un nouveau lien avec elle. Cela lui permet de ressentir la véracité de la phrase de Victor Hugo « Les morts, ce ne sont pas les absents, ce sont les invisibles ».

colère et liberté

Exercices sur le deuil et la colère

Vous aurez besoin de :

  • un cahier
  • un stylo

EXERCICE 1

Fast and furious

Cet exercice va vous permettre d’apprendre à canaliser votre colère.

  • Décrivez en cinq lignes la dernière situation dans laquelle vous vous êtes laissé emporter par votre colère. Détaillez le moment précis où il y a eu un point de bascule vers la colère, sans que vous puissiez la contrôler. Précisez vos ressentis corporels à ce moment-là (palpitations, suées, brûlure, etc.).
  • Revenez à l’instant qui a précédé le point de bascule et décrivez en quatre lignes ce que vous auriez pu faire ou dire pour rester maître de vous-même (respirer, quitter la pièce, exprimez votre ressenti, etc.).
  • Visualisez la situation que vous venez de décrire et appliquez les actions que vous venez de décrire pour rester maître vous -même.
  • La prochaine fois que vous serez dans une situation similaire, soyez attentif à vos ressentis corporels et essayez de ne vous laisser emporter vers le point de bascule en mettant en place les actions que vous avez mentionnées dans l’exercice. Le fait d’être conscient de la montée de votre colère, même si vous n’arrivez pas tout de suite à la canaliser est déjà une étape importante de franchie.

EXERCICE 2

C’est écrit

Grâce à cet exercice, vous allez écrire vos ressentis pour vous en libérer.

Écrivez une lettre à la personne que vous venez de perdre et dites-lui ce que vous ressentez, ce que vous ne lui avez pas forcément dit. Écrivez votre colère, votre douleur, tout ce que vous avez sur le cœur. Expulsez-les sur le papier, ne vous censurez pas. Demandez-lui de l’aide. Servez-vous de l’écriture pour mettre en mots ce que vous éprouvez. Que représentait cette personne pour vous ? Quelle image vous renvoyait-elle de vous-même ? Écrivez en quelques lignes comment vous pouvez dorénavant nourrir cette image par vous-même.

EXERCICE 3

Le rituel   

Cet exercice va vous permettre de recréer un espace pour maintenir le lien avec la personne disparue.

Mettez en place un rituel pour maintenir vivant le lien avec la personne disparue : préparer un plat spécial, écouter une chanson, allumer une bougie, lire un poème à haute voix, etc.

« La colère est nécessaire ; on ne triomphe de rien sans elle, si elle ne remplit l’âme, si elle n’échauffe le cœur ; elle doit donc nous servir, non comme chef, mais comme soldat. » Aristote


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